Stimulés dès leur plus jeune âge, les enfants trisomiques d?aujourd?hui sont plus éveillés que leurs aînés. Il serait pourtant dommage d?engager toute leur énergie vers les seuls apprentissages scolaires.
? l?aise dans leur corps et s?exprimant souvent très bien, de nombreux trisomiques ont fait leur miel de l?éducation précoce. Et si leur intelligence, correctement stimulée, pouvait gommer la déficience intellectuelle, comme la psychomotricité combat la maladresse?? Cette petite marge d?illusion console bien des parents, encouragés par les médias qui mettent en avant, systématiquement, de jeunes adultes indépendants, artistes ou en couple. ? cela s?ajoute l?arrivée des UPI?: des classes d?intégration, au collège, pour les jeunes déficients mentaux. Comment alors ne pas croire, de bonne foi, que son enfant trisomique apprendra à lire, écrire et compter aussi bien que ses frères et s?urs??
Pourtant, le bilan des apprentissages purement scolaires reste modeste. Bernadette Céleste, psychologue à la faculté de Nanterre et vice-présidente de la Fait?21, rapporte dans son livre1 le parcours modèle d?une jeune trisomique. Entrée en CLIS à sept ans pour apprendre les lettres, elle intègre à huit ans un CP ordinaire, à temps partiel, pour la lecture. Entre dix et onze ans, elle poursuit le CP à temps plein, sauf pour les mathématiques. Mais à douze ans, elle échoue à suivre un CE1 ordinaire.
Des professionnels ou des charlatans??
Au fil des années, la majorité des parents parviennent à déplacer leurs ambitions pour des disciplines scolaires vers des activités plus ludiques. Après tout, les prouesses en natation valent bien les ?zéro faute? en dictée?! D?autres continuent pourtant à demander à leur enfant ce qu?il ne peut pas donner. «?En particulier lorsqu?ils sont mal conseillés par des professionnels, ou plutôt par des charlatans, qui affirment qu?un enfant trisomique peut rattraper son retard en travaillant dur, comme s?il s?agissait d?une vulgaire course à pied?», s?indigne Véronique Moreau, institutrice en CLIS.
C?est ainsi que s?installent des situations intenables quand le rythme d?apprentissage et les possibilités de compréhension de l?enfant ne sont pas respectés. «?Je pense à une petite fille à qui sa mère avait appris les additions, les soustractions, les multiplications et les dictées de nombres?», raconte Bernadette Céleste. «?? côté de cela, elle ne savait pas combien font quatre bonbons moins deux. J?ai vu aussi un petit garçon de sept ans qui dessinait sans se soucier d?enlever le capuchon de son feutre. Apprendre ainsi des mécanismes sans les comprendre brime toute curiosité et provoque nombre de troubles du comportement ou de dépressions à l?adolescence.?»
Mais comment savoir que l?on est allé trop loin et que la stimulation devient du forcing?? La réaction la plus fréquente apparaît vers cinq ou six ans sous la forme d?une opposition radicale de l?enfant. «?Ces manifestations sont suffisamment pénibles pour obliger les professionnels et les parents à ajuster leurs exigences?», explique Bernadette Céleste.
A l?inverse, certains jeunes trisomiques cèdent sous la pression et jouent le jeu, remplissant avec application des cahiers de lettres pour faire plaisir à la maîtresse. Eux aussi sonnent l?alarme à leur façon?: en redevenant incontinents, par exemple, ou en jouant au bébé pour qu?on les laisse tranquilles. Devant des signes de ce genre, il est urgent de réfléchir aux intérêts spontanés de l?enfant. Lui laisser le temps d?être curieux et demandeur lui redonnera l?énergie de progresser.
La télé déclenche la lecture.
«?Savoir être patient.?» Véronique Moreau confirme qu?il s?agit de la qualité primordiale d?un enseignant. Certains de ses élèves se détournent de l?écrit jusqu?à dix ou douze ans. Ils baillent dès qu?on leur met des lettres en plastique dans les mains. Puis un beau jour, ils annoncent qu?ils veulent marquer leur nom. «?Quand ils ont vraiment envie d?apprendre, on ne s?y trompe pas, ça déménage?!?», précise-t-elle. Parfois, vers treize ou quatorze ans, c?est la passion pour les séries télévisées qui déclenche tout, car il faut savoir lire le programme pour ne rien rater?!
«?Je refuse de consacrer tout le temps de l?école aux apprentissages purement scolaires, mais le message ne passe pas toujours, regrette Véronique Moreau. Quand des parents me demandent s?il est judicieux que leur fille arrête le poney le mercredi pour faire de la lecture, je leur réponds que ce serait dommage pour elle. Mais ils sont peu nombreux à suivre mon conseil.?»
Si l?écrit mérite d?être enseigné à tous ceux qui peuvent l'apprendre, il serait dommage, en effet, d?en faire un fétiche. L?intégration sociale est facilitée par une lecture fonctionnelle, certes, mais tout n?est pas perdu pour ceux qui n?y parviennent pas. «?Je rencontre des adultes de trente ou quarante ans qui travaillent en CAT et à qui l?on impose des activités de maintien des acquis en lecture?», note Denis Vaginey, psychanalyste. «?Une aberration qui consiste à imposer des exercices de grande section de maternelle à des adultes alors qu?il est évident qu?ils ont trouvé des ressources pour se passer de lire.?»
Même opinion chez Bernadette Céleste, qui exhorte les parents à renverser leur échelle de valeurs?: «?La fonction sociale de l?école est celle dont les jeunes trisomiques profitent le mieux?: communiquer, vivre en groupe, découvrir la ville et ses transports, s?initier au sport ou à l?art. Je crois que de nombreux parents choisissent une intégration en CLIS parce qu?ils imaginent, à tort, qu?elle garantit un meilleur niveau scolaire. Or, c?est la personnalité de l?enfant qui doit guider le choix d?un type de scolarité. Les enfants mûrs pour affronter un environnement peu protecteur se trouvent bien en CLIS, mais les timides s?épanouissent mieux en IME. D?ailleurs, l?argument du niveau ne tient pas, car il est sensiblement identique dans l?une ou l?autre structure. C?est l?enfant qui donne le rythme?», conclut-elle.
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Auteur : Sylvie Boutaudou?
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