La rédaction de Déclic invite régulièrement les parents d?enfant handicapé à venir échanger autour des thématiques qui intéressent la famille et l?entourage des enfants handicapés. Morceaux choisis de la rencontre qui s?est tenue à Caen le 6 juin 2006.
Les participants
Florence est la maman de Claire, 12 ans, polyhandicapée .
Martine, la maman de Nathalie, 29 ans, infirme motrice cérébrale, est venue avec sa fille cadette, Frédérique, 25 ans.
Sandrine est la maman de Pauline, 2 ans, polyhandicapée.
Carole est la maman de Marion, 16 ans, polyhandicapée.
Yves est le papa de Sophie, 8 ans, polyhandicapée, et de Gwendoline, 6 ans, qui a un retard psychomoteur.
Thierry est le papa de Maëva, 3 ans, trisomique 21.
Parents, enfants, il faut que ça sorte
Carole Marion avait presque 9?ans quand sa s?ur Lucie est née. J?avais déjà énormément réfléchi aux problèmes de jalousie, de culpabilité, de honte?
D?emblée, j?ai beaucoup discuté avec Lucie du handicap de sa grande s?ur. Quand elle en parle, elle est très à l?aise. Elle nous pose plein de questions. La psychologue, la première fois qu?on est allés la voir, nous a dit : «?Franchement, Lucie n?a pas besoin d?aide. Elle est dans une maison où elle peut s?exprimer sans que cela ne vous blesse trop.?» Mais il y a quand même de la jalousie. Elle est capable de nous dire : «?T?as vu le temps que tu mets à lui donner sa douche !?» ou «?J?en ai marre que Marion ne parle pas !?», «?J?en ai marre qu?elle bave !?» ?a me soulage d?entendre ça. C?est vrai qu?on prend plus de temps pour sa s?ur, mais je crois qu?on arrive à être justes.
Sandrine Quand on est triste ou que ça ne va pas, on essaie de faire bonne figure. La grande s?ur de Pauline m?a dit l?autre jour qu?elle m?avait vue pleurer en sortant de chez le médecin. J?étais complètement défaite, mais j?avais veillé à ne pas me montrer sous cet angle-là. La peine et la tristesse, l?enfant les perçoit. Et l?on ne parvient pas à les dissimuler.
Carole Pourquoi les dissimuler ? C?est normal d?être triste.
Sandrine Moi, les six premiers mois, j?étais effondrée. Il aurait fallu que j?aille habiter ailleurs?
Carole Mais tu ne peux pas cacher ta tristesse! Et il ne faut pas, sinon que veux-tu que la plus grande comprenne ?
Sandrine En même temps, c?est un réflexe d?autoprotection.
Carole Après, l?enfant n?ose plus te dire quoi que ce soit. Il pense?: «?Oh non, je ne peux pas lui dire un truc pareil !?»
Yves Mais si l?on expose trop sa douleur, peut-être que l?enfant va se refermer sur lui-même ? C?est à double tranchant.
Et moi alors ?
Yves Chez nous, la jalousie ne vient pas de l?enfant valide, mais de l?enfant handicapé. Au début, dès que ma femme et moi avions un geste d?affection, Sophie nous montrait qu?elle existait. Et quand sa s?ur est née, il fallait que l?on s?occupe d?elle en premier.
Thierry Il faut relativiser la jalousie des enfants. Ils ont forcément un caractère égoïste. Quel que soit l?investissement, il y en aura forcément un pour dire : «?Vous passez plus de temps avec lui !?» On gère au quotidien et on explique le temps passé avec chacun. Les besoins de mise au point arrivent par phases, selon les âges.
Florence Il y a toujours de nouvelles étapes. Mon fils de 15?ans est très tendu en ce moment. Il commence à penser aux petites copines, et je crois qu?il a plus de mal à accepter sa s?ur.
Frédérique ? l?adolescence, le regard des autres change aussi. On ne sait pas pourquoi, mais tout casse !
Carole La jalousie se porte également sur les amis. Ma fille aimerait tellement avoir la grande s?ur de sa meilleure copine?
Frédérique ? 18 ans, j?ai eu mon permis et ma voiture. Nathalie, ma grande s?ur, a eu une réaction de jalousie terrible. Elle ne comprenait pas. Il a fallu que je l?emmène faire un tour à côté de moi. Il y a eu une réaction de jalousie claire et nette. Je pense qu?elle s?est dit : «?Et moi, je n?y ai pas droit ??»
Elle pensait qu?on l?aimait moins
Yves On s?aperçoit des questions de jalousie le soir. On prend deux heures pour jouer avec Sophie et Gwendoline sur un très grand lit. Alors, elles cherchent toujours à se griffer et à se tirer les cheveux. La grande demande plus de poigne. C?est pour cela qu?on a consulté la psy. Mais on s?est pris une claque. C?est tout juste si ce n?était pas notre faute.
Sandrine Ma fille qui n?est pas handicapée a été trop parfaite : pour ne pas nous vexer, elle ne nous disait rien. Mais quand elle est allée voir le psychologue, elle est ressortie en larmes. Elle pensait qu?on l?aimait moins parce qu?on consacrait moins de temps à elle qu?à sa s?ur. Pour nous, c?était évident que ce n?était pas le cas. Elle avait besoin qu?on le lui dise. En fait, on n?était pas si bien organisés que ça. Maintenant que Pauline est placée et qu?elle est en sécurité, nous sommes plus sereins. On peut consacrer plus de temps à l?aînée.
Un grand bol d?air
Yves Nous, c?est la naissance de la deuxième qui nous a fait sortir du trou.
Sandrine Un premier enfant ordinaire nous tire vers le haut. On ne peut pas sombrer, parce que l?aîné est là. C?est une force.
Martine Je ne voulais pas d?un deuxième enfant, car ça s?était mal passé à l?accouchement. Mais Frédérique a été une bouée de sauvetage pour nous et pour sa s?ur, qui était très capricieuse. Par contre, je trouvais que Frédérique était une enfant trop facile. Elle ne s?est pas suffisamment exprimée.
Frédérique Il y a des choses que l?on ne dit pas pour ne pas blesser les parents.
Florence ?milie, la s?ur de Claire, a toujours été raisonnable, n?a jamais fait de bêtises, travaillait bien à l?école?
On s?est aperçus qu?elle avait quand même besoin de parler. Dans un groupe de l?Association des paralysés de France, elle a pu discuter avec d?autres enfants qui vivent la même chose. Elle a vu que certains étaient dans des situations beaucoup plus difficiles que la sienne. Il y en a qui ont vraiment la charge de leur frère ou de leur s?ur, qui doivent les soigner. Nous, on n?a jamais voulu : ce n?est pas leur rôle !
(Source?: Déclic n°113, septembre-octobre 2006)?
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