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Sont-ils trop différents ? Sont-ils si différents Version imprimable Suggérer par mail
05-02-2008
«?Notre désir de désirer comme les autres, d?’être et d?’avoir comme les autres, la force quasi instinctuelle de nous accaparer et approprier autrui, ses désirs et ses biens, l?’énorme besoin d?’imiter, de jouer sans cesse les mimes?: tous ces vieux mécanismes sont autant d?’obstacles, séculaires et archaïques pour accepter ce qui apparaît monstruosité?». (Henri-Jacques Sticker)

Premier regard
La première personne polyhandicapée que nous avons vue n?’a pas forcément laissé une trace dans notre mémoire ou bien la trace s?’est effacée, rapidement, de peur qu?’elle ne se grave à jamais peut-être?: nos moyens de défense sont souvent excellents?…
Nous avons peut-être vu un corps qui remuait un peu, bizarrement, nous avons entendu des sons rauques, des cris aigus qui émanaient de ce corps, un visage grimaçant. Le questionnement qui nous a envahi était peut-être trop intense pour le laisser émerger et nous nous sommes détournés.
Et puis peut-être nous sommes nous retournés pour voir si c?’était vrai et en nous retournant nous avons croisé son regard, ou nous avons entendu son appel, ou nous avons vu sa beauté une fraction de seconde?… Quelque chose a fait que nous avons reconnu l?’autre, une personne humaine, vivante, digne d?’intérêt et de soins.
Dans la rue les regards qui se posent sur une personne polyhandicapée sont souvent des «?premiers regards?»?: ils se détournent pour éviter le questionnement envahissant, ou bien ils restent transparents, centrés sur eux-mêmes. La norme sociale exprime que l?’homme se distingue de l?’animal par le fait qu?’il se déplace debout, qu?’il pense, s?’exprime et jouit de toutes les capacités de son corps?: motrices, sensitives, intellectuelles. Or la personne polyhandicapée ne se déplace pas, s?’exprime peu et sa jouissance paraît pauvre.
Alors il faut poser ces questions envahissantes, inadmissibles que personne n?’ose exprimer excepté les philosophes depuis des siècles.

La personne polyhandicapée pleinement humaine.

L?’article 1 de la déclaration universelle des droits de l?’homme et du citoyen de 1948 dit?: «? Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité?». Cet article ne dit pas si la personne polyhandicapée est douée de raison et de conscience, si elle est vraiment libre et? peut bénéficier de ses droits.
Mais nous devons faire confiance à notre intuition et refuser de prendre le risque de la déshumanisation d?’une personne comme pourrait le faire le courant des utilitaristes qui seraient prêts à affirmer que la personne polyhandicapée fait partie du monde animal. Pour le philosophe Emmanuel Lévinas, « même réduit à l?’état végétatif, le corps humain reste un homme pour l?’homme ».? Et pour nous la personne polyhandicapée porte un nom et un prénom, elle a un visage, ce qui suffit à la rendre pleinement humaine. Cette personne EST?; peut être que les verbes «?faire?» et «?avoir?» qui peuvent définir un être social aujourd?’hui ne lui conviennent pas, car elle ne produit rien et quelqu?’un d?’autre gère ses biens, mais il suffit qu?’elle soit pour exister.
Devant une maman qui raconte son enfant, comment elle joue avec lui, comment il réclame sa présence, quand elle se rappelle avec émoi la naissance de son petit, il n?’y a aucun doute, on parle bien d?’un enfant, né d?’un homme et d?’une femme.
Cette intuition est confirmée par les critères objectifs, morphologiques (deux yeux, un nez, une bouche) et génétiques (le génome d?’une personne polyhandicapée est bien humain).

Cette vie vaut-elle la peine d?’être vécue??
Pourquoi poser cette question dont la réponse est si évidente?? Parce que pour les uns l?’existence de la personne polyhandicapée est précieuse en tout, pour les autres cette vie est une erreur.
Pour le groupe des personnes qui ont bien voulu entrer en relation avec une personne polyhandicapée, qui on bien voulu accepter de vivre avec elle, la communication est passée bien au-delà des mots, le lien humain qui s?’est créé est un attachement durable que finalement seule la mort peut rompre. C?’est plus qu?’un attachement amoureux, vite rompu par une déception, c?’est plus que l?’attachement à un enfant qui doit grandir et que l?’on doit accepter de voir partir, c?’est plus qu?’une amitié toujours susceptible de trahison. C?’est un lien où l?’on donne beaucoup du fait de la dépendance de l?’autre mais où l?’autre, pour peu que l?’on accepte de recevoir quelque chose de lui et que nos exigences soient à sa hauteur, le rend bien. Il le rend par un sourire, une tranquillité, une simple présence, un attachement infini. Alors cette vie devient indispensable, source de satisfaction et de bien-être. Et si cette vie a autant de valeur, la question ne se pose pas.
Ceux qui ne connaissent pas les personnes polyhandicapées voient leurs normes bousculées en leur présence.? On ne peut pas leur en vouloir. La société exige d?’être beau, riche, intelligent et bien portant pour être reconnu, apprécié, pour avoir une place dans la société, une valeur. Ils ont eux-mêmes du mal à accéder à cette perfection, mais ils estiment avoir leur chance. Une personne polyhandicapée ne suit pas les critères de beauté imposés par les mannequins, elle ne dépense rien de superflu qui pourrait montrer sa supériorité sociale et ne s?’exprime pas oralement pour faire connaître ses capacités intellectuelles. Ainsi ses chances d?’être sur le chemin de la perfection selon les normes en vigueur sont bien pauvres. Les personnes les plus démunies (et cela ne concerne peut-être pas seulement les polyhandicapées), ne valent pas grand-chose, aux yeux de ceux qui ne les connaissent pas. Alors, pour eux, la vie d?’une personne polyhandicapée a-t-elle une valeur?? La question ne se pose pas.

Valeur d?’une vie et coût des soins?…
Le problème de cette dichotomie franche dans les réponses, est que la vie d?’une personne polyhandicapée est parfois entre les mains d?’un soignant qui peut être convaincu soit de la valeur de sa vie soit de son inutilité, et qui peut prendre des décisions totalement inappropriées.
En principe, un médecin ne peut décider d?’une stratégie thérapeutique pour une personne dépendante sans prendre l?’avis de son entourage et sans l?’aide d?’un confrère compétent dans le domaine du handicap. Pourtant, en pratique nous sommes loin de cette réalité. Du seul fait de leur handicap, de nombreuses personnes n?’ont pas eu droit aux mêmes soins que les autres.
Dans toutes les salles d?’attente des cabinets médicaux, les prospectus d?’information sur le dépistage du cancer du sein insistent sur l?’importance d?’un suivi gynécologique régulier. Combien de femmes polyhandicapées ont-elles bénéficié d?’un seul examen?? Elles sont difficiles à installer sur la table, la consultation prend du temps, cela coûte trop. Et si l?’examen coûte trop, que fera-t-on si un cancer apparaît?? Quel traitement donnera-t-on??
Sur ces deux questions de l?’humanité et de la valeur de la vie d?’une personne polyhandicapée, nous sommes comme les premiers voyageurs découvrant des sociétés primitives. Les «?sauvages?» ont été massacrés, rejetés comme non-humains avant d?’être considérés comme nos égaux à part entière. Comme ces «?sauvages?», les personnes polyhandicapées nous aident à faire l?’expérience de l?’altérité, à nous faire grandir vers plus d?’humanité.

Retrouvez le guide Mon enfant est polyhandicapé sur la boutique du Magazine Déclic.?

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