Thierry Marx : les recettes d?humanité d?un grand cuisinier |
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17-06-2012 |
Star des cuisines et des plateaux télé, grand voyageur du goût, rompu aux arts martiaux, étoilé et reconnu par ses pairs?
Qu?est-ce que Thierry Marx pourrait dire aux parents de Déclic qui mixent le repas de Jeannette pour éviter les fausses routes ? Nous l?avons rencontré. Extraits.
Le handicap n?est pas une question qui vous est familière ?J?ai été peu confronté au handicap, sauf par le biais du sport où l?on rencontre des gens qui recherchent à retrouver des sensations, après un traumatisme, par exemple. Mais il arrive que des familles arrivent dans un grand restaurant avec un enfant lourdement handicapé. Il y a quelques jours, au Mandarin oriental de Paris, un jeune garçon en fauteuil, est venu avec ses parents. On sentait bien que leur plaisir était holistique (le lien, le lieu, l?entourage, etc.) et pas réduit à ce que nous mettions dans les assiettes.
Mais certains handicaps éloignent encore plus du plaisir de manger?
Je n?ai aucune expertise dans ce domaine, mais j?ai l?intuition que l?olfaction peut être une piste pour les parents. On a minimisé l?olfaction dans la cuisine occidentale, en la survalorisant dans le vin. Les Japonais ont moins de réticence : quand on mange dans un bol, on le porte vers soi, on respire la nourriture avant de la manger. Cela m?inspire beaucoup dans ma cuisine. Même un enfant qui mange du mixé ou très peu par la bouche peut respirer le parfum d?une pomme-cannelle, on peut lui raconter comment elle a été faite. Avant d?expérimenter le jeu des textures et des saveurs, il associera ce dessert avec la personne qui l?aime, qui est au plus près de lui. Les neurobiologistes nous disent bien que l?odorat est le sens qui s?imprime le plus durablement dans notre mémoire. Et il suffit parfois à donner du plaisir, et même une forme de satiété.
Respirer la nourriture, cela ne suffit pas tout de même !Quand on veut nourrir un enfant, le faire grandir, lui donner des forces, on surdimensionne souvent la question de la satiété comme un remplissage, en oubliant que le plaisir olfactif participe aussi à l?impression agréable d?être repus, d?en avoir eu assez. En laboratoire de cuisine, j?ai fait des tests avec des médecins nutritionnistes qui traitent des patients obèses qui ne parviennent pas à se restreindre selon leurs besoins. La question de la satisfaction par l?odorat intéresse beaucoup ces chercheurs. Est-ce qu?on a besoin d?avoir l?estomac plein pour arrêter de manger, ou peut-on se satisfaire d?une image fantasmée de ce qu?on a mangé en inhalant des arômes ? Il y a certainement à creuser dans cette direction.
Propos recueillis par Sylvie Boutaudou
Retrouvez la suite du «?Grand entretien?» dans Déclic n°148 (juillet-août 2012)
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