« Confier mon enfant ? Jamais de la vie ! » et pourtant, ce répit, ce bol d’air pourrait devenir un moment précieux, pour vous comme pour lui. Comment se faire à cette idée…
Marilou a 7 ans. Elle est autiste. Sa maman est exténuée et aimerait prendre le temps de se reposer. Mais, pour le moment, pas question de confier sa fille à d’autres, en dépit de la fatigue et de la pression que le handicap fait peser sur son couple. Ce scénario, de nombreux parents d’enfants handicapés le connaissent ! Comment se résoudre à confier Lulu à la famille, à un centre aéré, à l’école, lorsqu’on a le sentiment d’être le seul ou la seule à pouvoir s’en occuper et le protéger ? Parce que cette implication est sans faille, sans répit, on pense que ses soins ou ses comportements seront insurmontables par un tiers…
D’autres sont capables de garder Lulu aussi !
Or, les parents ne sont évidemment pas les seuls à pouvoir répondre à ces besoins particuliers, comme en témoigne Élizabeth : « Nous n’avons pas eu de formation pour assumer le handicap de notre enfant. Nous avons appris sur le tas. Il faut donc faire confiance aux autres. » D’autant que ce sont souvent des professionnels aguerris à l’accueil des enfants qui ont des besoins spécifiques. Le secret d’une séparation réussie réside dans sa préparation. Les choses doivent se faire dans la douceur. Une conversation avec l’équipe suffit parfois à faire tomber les barrières. Puis, la visite des lieux. Ce n’est qu’au terme d’une maturation qu’on peut accepter de déléguer, pour une heure, puis deux, puis une journée entière… Comme pour tout enfant « valide » lorsqu’il entre à la crèche ou à l’école, remarque Céline Duriez, éducatrice au sein d’un jardin éducatif mixte, les Galopins, dans le Val-d’Oise : « Cette appréhension est presque systématique, et je vois parfois des parents d’enfants valides qui sont bien plus angoissés. Il y a bien sûr quelques larmes, mais cela vaut pour tous, il ne faut pas s’en inquiéter ni culpabiliser. Nous n’avons jamais connu d’échec d’intégration. » Un processus normal et rassurant, jusqu’au moment où l’on consent à laisser son enfant une nuit, puis plusieurs jours…
Un an pour faire confiance aux professionnels
Agathe Saunier, coordonnatrice chez Loisirs Pluriel (fédération d’associations et centres de loisirs), rapporte le cas de Théo, 10 ans, polyhandicapé, qui ne communiquait que par le regard. « Sa maman était terriblement inquiète, notamment à cause de sa gastrostomie. Elle souhaitait rester présente et avait du mal à nous accorder sa confiance. Elle n’a pu lâcher prise qu’au bout d’un an. Depuis, elle est soulagée, car, en s’accordant des moments à elle, elle a enfin le sentiment d’être une maman comme les autres. » En dépit des réticences initiales, la plupart des parents, en effet, confient ressentir un immense soulagement. Après des années de dévouement, leur vie personnelle et intime a parfois volé en éclats ; ils peuvent enfin s’offrir une bouffée d’oxygène.
Le répit des aidants
On appelle ce moment nécessaire le « répit des aidants ». Et Céline Duriez de confirmer que les mamans « ne doivent pas penser qu’elles sont de mauvaises mères ni culpabiliser pour autant ». Un bol d’air aussi pour la fratrie… Marine a fait ce choix : maman d’une fillette autiste, elle la confie à sa mère une semaine par an et part en voyage avec ses trois autres filles. « J’ai mis des années avant d’accepter cette idée, mais il le fallait vraiment pour nous toutes. Je peux enfin dormir de vraies nuits. Lorsque je reviens, j’ai du bonheur à retrouver ma fille. Une manière de rompre le ressentiment qui, en dépit de l’amour, s’installe insidieusement. »
Une séparation bénéfique pour tous
Pour Lulu, cette première séparation peut devenir une étape importante, parfois précieuse. Évidemment, cela suppose de ne pas lui montrer que l’on redoute son absence, sous peine de lui transmettre nos propres craintes. Lui dire qu’il va nous manquer, sur un ton enjoué et léger. « Certains parents sont surpris de voir à quelle vitesse leur enfant s’acclimate au nouvel environnement, à ses nouveaux camarades », note Céline Duriez. L’occasion de vivre d’autres expériences, en dehors du cocon familial. Accepter de franchir ce cap, c’est entrer dans une démarche positive. Mais il convient de le décider au moment opportun, sans que ce désir, souvent ambivalent, devienne un acharnement. Ne pas céder aux influences de l’entourage qui, par souci de bien faire, insiste parfois jusqu’à vous braquer : « Il faut te reposer, pense à toi ! » Se dire que cela viendra, comme une évidence, peut-être
lorsque l’enfant sera plus grand et les parents vraiment consentants. Cela n’empêche pas de se renseigner en amont, de rechercher une association dédiée pour prendre ses marques, et de mûrir la réflexion, sans fermer aucune porte. L’idée fera son chemin, étape par étape…
Avis d’expert
Maudy Piot, psychanalyste, présidente de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir
« Le sentiment d’être amputé de soi-même »
« Pour certains parents, le projet de séparation ravive le souvenir d’une séparation après une naissance difficile ou un grave accident. Ils sont saisis par l’angoisse à l’idée qu’on leur enlève à nouveau leur enfant. C’est évidemment inconscient ! On pense alors ne pouvoir sauver son enfant qu’en l’ayant constamment sous les yeux. Aider ces parents, c’est leur laisser le temps de grandir, de mûrir et d’apprivoiser cette difficulté. Bien des mamans se sentent amputées d’elles-mêmes lorsqu’elles sont loin de leur enfant. Pour en sortir, il faut vraiment que le couple puisse en parler, échanger en impliquant par la suite la fratrie, mais aussi l’enfant, qui ne doit pas être tenu à l’écart de ce projet. Si cette étape demeure malgré tout trop douloureuse, l’aide d’un psychologue peut s’avérer utile. Cela dépend vraiment du handicap, mais une première séparation se prépare, se mûrit, se travaille et se discute. »
Références
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De plus en plus d’associations proposent la prise en charge ponctuelle d’enfants handicapés pour offrir un bol d’air à leur entourage. Citons parmi elles le réseau passerelles ou encore Vitacolo, qui organise des séjours de vacances mixtes. Le système Sarah développé par le Grath propose également des places d’hébergement temporaire (90 jours par an au maximum, sur décision de la MDPH).