Alors que le danger était connu des médecins, de très nombreuses femmes enceintes épileptiques ont pris de la Dépakine pour se soigner…et des milliers d’enfants ont développé des troubles autistiques et physiques. Touchée elle aussi par ce nouveau scandale sanitaire, Marine Martin a décidé de dénoncer et de nous raconter.
Un combat qui finit par payer. Grâce à l’Apesac, l’association créée en 2011 pour défendre les victimes de la Dépakine, Marine Martin a obtenu la création d’un fonds d’indemnisation spécifique en 2016. Les femmes épileptiques sont également mieux informées sur les risques d’avoir un enfant présentant des troubles autistiques lorsqu’elles ont pris de la Dépakine pendant leur grossesse. Fin 2016, l’association a enfin déposé une action de groupe contre un grand laboratoire pharmaceutique, une première en France. L’objectif étant d’établir la responsabilité du laboratoire dans les malformations et les troubles du développement des enfants dont les mères avaient reçu un traitement à base de valproate de sodium (Dépakine, Dépakote ou Dépamide) pendant leur grossesse. Retour sur le parcours d’une lanceuse d’alerte ordinaire.
Vous vous définissez comme une lanceuse d’alerte de la Dépakine ?
Oui, car sans mon engagement on n’en serait pas là !
Les qualités pour être lanceur d’alerte ?
Il faut être organisé, avoir de la méthode, pour ne pas partir dans tous les sens, et une bonne connaissance du système de santé.
Vous connaissiez les risques pour les femmes enceintes ?
Je savais que l’épilepsie comportait des risques pour ma grossesse, mais le lien avec la Dépakine s’est fait beaucoup plus tard.
Comment s’est posée la question du handicap ?
À la naissance, mon fils avait une malformation du canal urinaire qui pouvait s’opérer. Au fur et à mesure de son développement, des anomalies se sont révélées. Il ne s’est pas mis à marcher et à deux ans et demi, il ne parlait toujours pas. Nous avons fini par diagnostiquer des troubles du langage et des troubles de la relation.
Une façon de dire qu’il était autiste. Ça a été un choc ?
Oui, ça a été un nouveau coup dur. J’ai fait des nuits blanches. Tout bascule. On prend conscience que son enfant est handicapé, et qu’il va falloir envisager des séances de rééducation, un suivi régulier chez le pédopsychiatre, prendre contact avec la MDPH…
En même temps, savoir est aussi un soulagement ?
Un peu sur le moment. Mais le diagnostic n’explique pas pourquoi il a développé ces pathologies. Et j’avais le sentiment qu’on me décourageait de comprendre le pourquoi du comment.
Comment avez-vous fait le lien avec la Dépakine ?
Mon fils avait à la fois des troubles autistiques, des troubles du langage, des troubles psychomoteurs et des malformations. Je me suis demandé s’il y avait des médicaments dangereux pour les femmes enceintes. J’ai fait des recherches sur Internet. La Dépakine était citée dans plusieurs études comme l’un des plus dangereux. Les pathologies possibles collaient avec celles de mon fils.
Comment avez-vous réagi ?
Je suis tombée des nues. On m’avait menti pendant des années. Les risques étaient connus, mais les laboratoires ont caché ces informations.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager ?
Après un cauchemar, le 31 décembre 2010. Je voyais un viol et je n’intervenais pas. J’ai pris conscience qu’il fallait que je bouge pour les autres mamans. Il y avait non-assistance à personnes en danger. Des centaines de femmes enceintes continuaient à prendre de la Dépakine !
Après, les choses se sont accélérées…
Oui. J’ai commencé à contacter d’autres familles, dont une mère de Tours qui avait déjà porté plainte en 2008 et perdu son procès. J’ai pris conscience qu’il fallait agir à plusieurs pour gagner. En 2010-2011, avec le scandale du Médiator, Irène Frachon, également mère de famille, m’a démontré qu’on pouvait s’attaquer à un gros laboratoire. Dans le même temps, nous avons créé une association de défense des victimes. Grâce à des articles dans la presse locale, d’autres familles nous ont contacté. Nous avons réuni de nombreux dossiers médicaux. Et les premières plaintes ont déposées contre le laboratoire.
Ce combat n’était pas gagné d’avance…
Du tout. Au début on m’a ignorée. Le plus difficile est de se faire entendre au niveau de l’État. On a l’impression qu’il protège les laboratoires, alors que nous faisons le travail de pharmacovigilance qui est de sa responsabilité ! Il faut y croire, et ne pas avoir peur. Les choses ont bougé lorsque la presse nationale s’est emparée de l’affaire.
Vous avez remporté plusieurs batailles. Le combat continue ?
Plus que jamais. On se bat par exemple pour imposer un logo « interdit aux femmes enceintes » sur les boites de médicaments, comme pour l’alcool. Mais il faut pour cela changer la loi et donc continuer le lobbying auprès des parlementaires et du gouvernement. Il est très important aussi de réévaluer les autres médicaments. Aujourd’hui, je suis fière du chemin parcouru. Des enfants sont sauvés. Des mamans ne prennent plus le médicament. Le fonds d’indemnisation des victimes va permettre d’aider et de soulager les familles.
Retrouvez l’intégralité de l’entretien avec Marine Martin dans le magazine Déclic 176 de mars-avril 2017.
Julius Suzat
Références
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(1)
Apesac : L’association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant, fédère 3660 familles victimes de la Dépakine, de la Dépakote ou du Dépamide. L’association a été agréée par le ministère de la santé et reconnue d’intérêt général. Elle compte six permanents.
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(2)
À paraitre en avril : Marine Martin, Dépakine, le scandale. Je ne pouvais pas me taire, éditions Robert Laffont.