? la lecture de votre livre, on est frappé par votre humour constant. Cela tranche avec la vision plutôt triste que l?on peut avoir de l?univers d?un centre de rééducation !
Grand Corps Malade : Plus la difficulté est grande, plus le contexte est dramatique, plus on a besoin d?humour et d?autodérision pour prendre un peu de recul. J?ai utilisé ce ton pour rendre compte de l?ambiance que j?ai connue. ?a peut paraître très paradoxal, mais malgré la difficulté, on a presque « bien rigolé » ? pas tout le temps, bien sûr ? mais quand même. L?humour, c?est un peu un instinct de survie dans ces conditions-là : on a vingt piges, on est entre nous, donc on se vanne, parfois même avec cynisme. Mais ça fait du bien, la vie reprend ses droits.
Vous décrivez assez longuement les désagréments du quotidien : des sondages urinaires au soin des escarres?
Pourquoi tous ces détails ?
Je voulais en témoigner à la fois pour rendre hommage aux personnes handicapées, et pour que le commun des mortels sache vraiment ce qu?on vit. Ne pas pouvoir marcher devient presque secondaire par rapport au fait de ne pas pouvoir aller aux toilettes tout seul?; de dépendre des autres pour les gestes les plus élémentaires. [?
] Après, il y a des petites choses plutôt drôles. Dans le livre, je raconte que j?aime bien regarder les clips sur M6 le matin. Mais comme je ne peux pas changer de chaîne tout seul, je suis obligé de regarder « M6 Boutique » avec Pierre et Valérie?
C?est assez symbolique de cet état de dépendance totale dont le grand public n?a généralement pas conscience.
Témoigner, c?est aussi susciter des changements?
J?espère ! J?ai reçu des retours de personnels soignants qui me remerciaient en me disant :
« On a l?impression de comprendre un peu mieux ce qu?il y a dans la tête des patients ». En fait, il existe peu de témoignages du côté de celui qui est dans le lit, qui ne peut pas parler en réanimation?
Sous prétexte que j?avais des tuyaux plein la bouche, on ne s?adressait pas à moi, ou alors on parlait de moi comme si je n?étais pas vivant.
Patients, Grand corps malade, éd. Don Quichotte, 2012, 15 ?.
Retrouvez la suite de cette interview dans
Déclic 157 (janvier-février 2014)