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Handicap et couple fragilisé : cliché ou réalité ?

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Il paraît que les parents d’enfants handicapés se séparent plus que les autres. Il paraît aussi que l’arrivée d’un enfant est une épreuve pour le couple. Mais on entend aussi que la difficulté fortifie, rapproche. Et si la vérité était ailleurs ? Et s’il n’y avait que des histoires singulières ? Trois profils, trois histoires qui se sont croisés un jour d’octobre dans les locaux de Handicap International à Paris.

La probabilité d’avoir un enfant handicapé, vous en avez parlé entre conjoints ?

Dominique — J’avais 40 ans lorsque je suis tombée enceinte, j’encourrais donc des risques. Les médecins ont d’abord détecté une trisomie. J’ai pensé avorter, puis on m’a dit que tout allait bien. Mettre un terme à la grossesse n’était plus à l’ordre du jour pour moi. Le hic était que mon mari, lui, n’en voulait plus…

Rémy — Nous n’avons pas imaginé une seule seconde que ça puisse nous arriver. C’est comme anticiper le fait que son enfant puisse être victime d’un accident de voiture à 17 ans !

La naissance de votre enfant a-t-elle fragilisé votre couple ?

Dominique — C’est plutôt le contraire. Notre couple était déjà fragile lorsque Gabriel était « normal », qu’aucun diagnostic n’avait encore été établi. Sans lui, mon mari et moi nous serions séparés depuis bien longtemps. Le handicap nous a renforcés un temps. Pour Gabriel on avait  besoin l’un de l’autre.

Caroline — L’arrivée d’un enfant, en général, bouscule un couple. Le handicap a accentué le tout, rien de plus. Il nous a donné plus d’occasions de nous disputer. Mais il nous a aussi obligés à communiquer. C’est indispensable pour survivre.

Rémy — Je crois que c’est un cliché. Beaucoup de couples se séparent de toute façon. Le handicap ne fait que rajouter une couche.

 Le handicap d’un enfant peut-il pousser un couple à se séparer ?

Caroline — Notre capacité à accepter le handicap est un facteur de rupture. Comment faire quand l’un est encore dans une phase de colère et de désespoir, alors que l’autre a déjà accepté le handicap comme une composante de sa vie ? Les incompréhensions peuvent se multiplier. Le déséquilibre y est aussi pour quelque chose. En congé maternité, j’étais 24 heures sur 24 avec Louise. Je me suis occupée de tout : des dossiers, de la paperasse… Un véritable sujet de tension entre mon conjoint et moi ! Rééquilibrer la situation était devenu primordial. Sans ce réajustement, on aurait fini par tomber dans le reproche à l’autre.

Le déséquilibre entre l’investissement du père et de la mère est facteur de crise ?

Caroline — Oui, et l’instinct maternel est une escroquerie intellectuelle ! Il y a cette logique du « puisque tu ne travailles pas, tu as plus de temps, donc tu t’occupes de tout ». C’est ce qui nous perd, couplé au manque de reconnaissance intime de la part de celui qui travaille. Car il faut bien l’avouer, le père reconnaît difficilement le travail accompli par sa femme, puisque les tâches semblent naturellement réparties. Si le mari n’en prend pas conscience, ça s’installe insidieusement.

Dominique — C’est toujours le même schéma : la mère perd son emploi, son mari l’aide financièrement. Lui a un travail et une vie sociale, elle non. Ils deviennent alors un couple triste. Sans oublier l’enfer invisible : le regard des autres, pour qui le handicap s’impose au détriment de ceux qui le portent.

Continuer à travailler pour les mères, est-ce une clé ?

Caroline — La première chose que je me suis dite lorsque j’ai su que Louise était trisomique a été : surtout ne pas m’arrêter de travailler ! Il était hors de question que mon équilibre explose, que mon conjoint en pâtisse et que notre couple se brise. Je voyais très bien ce schéma !

Dominique — J’étais contente de pouvoir m’occuper de Gabriel lorsque j’ai arrêté de travailler. Avec le temps, ma vie professionnelle, et donc sociale, m’a manqué. Comédienne, j’ai voulu retourner sur les planches, mais entre les rendez-vous médicaux, les problèmes administratifs, la fatigue et le stress, j’ai raté de multiples opportunités. Au lieu d’apprécier ces moments avec mon enfant, je me suis sentie pénalisée. Le plus difficile a été ce sentiment d’exclusion. L’arrivée d’un enfant handicapé contraint à faire le ménage dans sa vie sociale. Ces seize années ont été pour moi un enfer d’emploi du temps. Des sorties entre amis ? Oui, mais quand ? Il faut avoir de l’argent pour pouvoir sortir, il faut pouvoir faire garder son enfant lorsqu’on n’a pas de famille. Quand on part en voyage, il est tout seul, et si on l’inscrit à un séjour adapté, une semaine coûte 1 800 €.

Et l’entourage, comment réagit-il par rapport au handicap de votre enfant ?

Dominique — Les autres c’est l’enfer ! Au début, on nous considère comme des super-héros, puis avec le temps cette image s’estompe. J’ai affronté les médecins, les administrations pour Gabriel. J’ai hurlé, menacé pour qu’il soit pris en charge. On m’a prise pour une folle. Mon couple en est sorti plus fragile. Si c’était à refaire, je serais plus égoïste, sinon on est perdu. J’ai perdu ma qualité de femme, je suis devenue la mère courage. C’est très insidieux.

Caroline — Père ou mère courage ce n’est pas très sexy…

Rémy — C’est valable pour tous les couples, pas seulement les parents d’enfants handicapés. Le milieu médical et les médecins misogynes qui font peser toutes les responsabilités sur la mère ont une grande responsabilité.

Caroline — C’est moi qui me suis tapée les 25 pages du dossier à remplir pour Louise. Et lorsque le dossier nous est revenu signé, dans la case du parent n° 1, le nom de Rémy était indiqué, dans celle de la personne à contacter, le mien. Ces petits trucs que nous inflige la société ont un côté agaçant.

Dominique — Le milieu médical ou éducatif cultive les stéréotypes.

Rémy — La mère n’est pas la seule à subir les stéréotypes. En tant que papa, j’ai aussi ressenti très fort qu’il fallait assurer financièrement. Je dois être à la fois le papa, l’amant, l’ami, le fondateur d’une entreprise familiale. C’est très difficile à gérer dans l’agenda.

Avez-vous déjà pensé à fuir de votre vie de couple ?

Dominique — Mon couple ? Je ne pouvais même pas divorcer, car dans ce cas, je perdais tout. On m’a dit :« vous n’avez pas le droit de tout quitter », à moi. Pas à mon mari.

Caroline — Un couple, quel qu’il soit, est en réajustement permanent. Plusieurs fois, j’ai fantasmé de tout plaquer et partir loin. Je me disais qu’alors mes problèmes s’évaporeraient.

Dominique — Il m’est arrivé de partir trois jours toute seule. À l’époque, ça a sauvé mon couple.

Caroline — Pour sauver son couple de la crise, il faut penser à s’extraire de l’étiquette de parents. Ne pas oublier d’être des amants.

Rémy — Il ne faut pas tout mettre sur le dos des enfants et de leur handicap. C’est aussi la faute des parents qui attendent beau beaucoup de leur progéniture, qui les imaginent comme ci ou comme ça. Oui, c’est difficile, oui, on est fatigués. Oui, on est parfois moins patients, moins disponibles, mais n’est-ce pas le cas de tous les couples ?

 

Propos recueillis par Vanessa Cornier