Les personnes qui souffrent de polyhandicap peuvent être accueillies dans des établissements régis depuis 1989 par l?annexe XXIV ter ou bien rester à domicile.
Les soins utiles et nécessaires à des personnes polyhandicapées sont bien connus et identifiés et pourtant, en pratique, il est exceptionnel qu?ils soient dispensés en totalité et régulièrement. Chacune de leurs articulations devrait être mobilisée par un kinésithérapeute chaque jour, afin de prévenir les douleurs, les points d?appuis sources d?escarres. Cela permettrait qu?ils conservent un peu de mobilité volontaire. Ils doivent être installés debout pour faciliter la digestion, la respiration, éviter la perte osseuse, et pas seulement parce que le regard de l?autre change quand il voit un homme debout plutôt qu?assis. Ils méritent que quelqu?un les aide à vivre avec leur corps inerte des moments agréables et les psychomotriciens sont un bonheur pour eux. Le minimum que l?on puisse souhaiter est une installation assise confortable. Les ergothérapeutes ont un doigté parfait pour fabriquer avec les orthoprothésistes des sièges faits de douceur et de maintien.
Du personnel en nombre insuffisant
Or, que se passe-t-il ans la réalité?? Beaucoup sont assis plus de douze heures par jour dans des positions qui ne permettent pas de soulager le moindre appui. Les parents doivent se plaindre pour que le jeune puisse bénéficier d?une séance de kinésithérapie d?une demi-heure par semaine. Les éducateurs ne sont pas prêts à installer les personnes polyhandicapées dans des verticalisateurs. La psychomotricienne ne vient que trois heures tous les 8 jours et il y a 50 enfants à prendre en charge. L?ergothérapeute est oublié?: l?orthoprothésiste travaille seul et livre un siège qui ne convient pas, mais personne ne sera là pour le contredire. La présence des éducateurs est si primordiale que leur absence totale est impossible?: on ne peut pas laisser au lit toutes ces personnes. Mais ces «?aidants?», (terme qui comprend tous ceux qui sont autour de la personne au quotidien) n?ont pas le temps de faire un projet de sortie, d?activité, de loisir. Ils donnent à tous un peu, le maximum que leur temps de présence permet, c'est-à-dire le minimum?: être nourri, être levé, lavé et? habillé. Il semblerait logique de stimuler au plus et au mieux ceux qui ont les capacités cognitives les plus basses. Les éducateurs, même les plus enthousiastes, baissent les bras faute d?effectifs et de moyens.
? la maison ou en établissement, où sont-ils chez eux??
Le lien affectif est très fort avec un enfant fragile. Les parents attendaient un enfant qui irait bien, et au fil des années, ils se sont d?autant plus attachés à lui qu?il est sans défense et dépendant, qu?il ne volera jamais de ses propres ailes. Comment s?étonner alors que des parents refusent de confier leur enfant à des établissements?tels qu?ils fonctionnent aujourd'hui ?
Excepté pour les parents chanceux qui vivent dans une grande ville dynamique, non loin d?un centre d?action médico-social précoce (CAMSP), la famille a tout assumé dans les premières années. Ni la crèche, ni la garderie, ni l?école n?ont voulu de ce petit. Les parents se sont organisés pour que l?enfant soit gardé dans de bonnes conditions. Parfois l?un des parents a diminué son temps de travail ou arrêté de travailler. Une compensation financière, l?AEEH, bien que loin de pallier complètement la perte de salaire, a pu aider à faire ce choix.
Puis l?enfant a grandi, et tout à coup, quand il a atteint l?âge de 7 ou 8 ans, les services sociaux se sont manifestés : «?Il faut mettre votre enfant dans un établissement, il lui faut une vie sociale, vous devez apprendre à vous séparer de lui, il a des besoins éducatifs et affectifs que vous ne lui apportez pas, etc.?»
Le difficile choix de l?internat
Les parents ne sont pas contre, mais ce choix va imposer que l?enfant soit en internat de semaine car les établissements sont rares, implantés dans les grandes villes ou au milieu d?un désert campagnard. Il ne rentrera que le week-end. Pour un enfant sans problème qui vit en symbiose avec sa famille depuis 3 ans, le premier jour d?école est rarement simple. La séparation n?est pas toujours bien vécue. Lorsque l?enfant est polyhandicapé, cela fait souvent 6 ou 7 ans que l?organisation familiale tourne autour de lui. Le départ en établissement doit être progressif et préparé avec beaucoup de précaution.
Quand le tout-petit rentre à l?école, ses parents savent qu?il a des ressources personnelles pour lutter contre l?adversité, qu?il a une certaine autonomie, qu?il n?est pas totalement dépendant des adultes et qu?il rapportera à la maison ce qui s?est passé durant la journée. L?enfant polyhandicapé, lui, est totalement soumis à la tierce personne, il ne rapportera pas explicitement ce qui s?est passé et il est sans défense.
De plus, ce n?est pas 8 heures, mais une semaine, 5 fois 24 heures, qui vont se dérouler avant qu?il retourne chez lui.
On peut comprendre que des parents se sentent dépossédés de leur enfant et que le choix de l?établissement arrive en dernier recours. On leur demande d?avoir une confiance aveugle en des professionnels? inconnus pour s?occuper de la personne la plus fragile de la famille et dont ils portent la responsabilité morale et affective. On leur demande d?accepter que leur enfant passe 5 fois plus de temps dans un lieu professionnel que dans la chaleur familiale. Pourtant les enfants sont «?chez eux?» à la maison, et non dans l?établissement qui les accueille, que ce soit à la journée ou à la semaine, que ce soit une école ou un institut éducatif.
Entre choix et obligations
Choisir l?établissement va imposer à celui des deux? parents qui avait décidé d?arrêter son travail de se poser la question de reprendre une activité salariée. Le couple avait accepté le sacrifice financier, comptant sur l?allocation pour compenser le manque à gagner. Dès que l?enfant est «?pris en charge?» l?allocation est supprimée et versée à l?établissement. Certes, reprendre une activité salariée après un temps d?arrêt de plusieurs années, est possible, mais difficile. Dans certaines familles, le choix de conserver le statut de parent tierce personne est tentant, en particulier si celui qui doit retourner sur le marché du travail n?a pas d?autre qualification que l?expérience de la souffrance, de la compassion et de la patience. Malgré cette évolution délicate, les parents sont souvent montrés du doigt lorsqu?ils expliquent qu?ils comptent sur l?allocation pour vivre et que le choix de l?établissement bouleverserait leur organisation familiale d?une façon telle qu?ils ne peuvent l?assumer.
Un autre argument pour décider les parents à se séparer de leur enfant est le vieillissement. «?Quand vous serez âgés et qu?il pèsera 60 kilos, comment ferez-vous pour vous occuper de lui?? Et alors il n?y aura plus de place dans les établissements?! ». Il faudrait donc sacrifier vingt ans de sa vie de famille pour pallier une déficience sociale, puisqu?il n?y aura pas de place pour tout le monde?? Il faudrait que les parents mettent leur enfant dans un établissement dès le plus jeune âge pour avoir des droits que n?auraient pas les autres, les récalcitrants, ceux qui veulent vivre en famille?? Faut-il s?installer dans un village avant 20 ans pour être sûr de pouvoir y passer sa retraite??
Il ne s?agit pas de fermer les établissements, bien au contraire. Mais les parents qui souhaitent garder un lien concret avec le plus fragile de la famille, qui veulent continuer à vivre avec leur enfant, même s?il est en établissement, ne sont pas de mauvais parents à disqualifier. La séparation doit se faire et se fera, en douceur ou imposée par les événements de la vie, mais ce n?est pas aux professionnels de couper brutalement le cordon.
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