Dans le prochain numéro de Déclic (novembre/décembre), la rédaction s?est interrogée sur la façon dont les familles concernées par le handicap d?un enfant font face aux difficultés. Travail, vie de couple, amis, fratrie?
Loin des clichés, les témoignages recueillis démontrent la force et la créativité des parents pour préserver l?équilibre de leur famille. Parmi eux, nous avons recueilli le témoignage de l?écrivain et réalisateur de télévision Jean-Louis Fournier. Lui a choisi l?humour pour affronter les obstacles, comme en atteste son dernier ouvrage Où on va papa?? (éd. Stock, 15??), un récit bouleversant sur le handicap de ses deux fils, Mathieu, aujourd?hui décédé, et Thomas. Voici ce qu?il a confié à Déclic.
Déclic?: Qu?est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur vos deux fils??
Jean-Louis Fournier?: Depuis une quinzaine d?années, j?écris un livre par an, mais je tenais jusqu?ici le sujet de mes enfants un peu à distance. Je ne voulais pas faire de la presse à sensation et exhiber le handicap de mes garçons comme un mendiant agite ses moignons. J?avais déjà écrit un livre sur mon père [Il a jamais tué personne, mon papa, éd. Stock, 1999], qui était médecin et alcoolique et qui est mort à 45?ans. La littérature m?avait permis à cette occasion de montrer combien c?était un type formidable. Avec ce nouveau livre Où on va papa ?, j?ai voulu également dire que la vie de mes deux fils ne se résumait pas seulement à une photo sur une carte d?invalidité.
Vous ne dites jamais précisément ni l?âge ni le handicap de vos garçons. Pourquoi??
On a vu des quantités de médecins, mais la maladie est restée un peu mystérieuse. C?est un genre d?arthrogrypose associée à une déficience mentale. Le corps de Mathieu s?est recroquevillé petit à petit, et c?est à la suite d?une opération pour le redresser qu?il est décédé. Au moins, il est mort droit. Thomas se courbe à son tour. Je ne sais même pas exactement son âge : il a 30 ans passés, mais c?est comme s?il avait toujours 7 ans ? il joue aux cubes et aux petites voitures ?, mais aussi comme s?il avait 100 ans, tellement il est voûté.
Est-ce que l?humour est pour vous une façon de surmonter le handicap??
Certainement. Rire et plaisanter m?ont beaucoup aidé. Je m?imagine à la place d?un gosse handicapé dans son berceau, qui a constamment au-dessus de lui le visage de ses parents effondrés ; c?est tragique. On rit facilement des bêtises d?un petit enfant «?normal?», on n?ose pas le faire d?un enfant handicapé qui mange ou s?habille avec maladresse. Mes garçons étaient pourtant très contents de nous faire rire. Pierre Desproges, dont j?ai été très proche, passait souvent pour quelqu?un d?insensible, mais ses plaisanteries sur son père malade du cancer n?étaient pas méchantes. Au contraire, elles témoignaient d?une forme de tendresse. De la même façon, j?essaie de parler de ce qui m?est arrivé en le détournant pour ne pas être grave.
Vous finissez pourtant Où on va papa ? sur une note très pessimiste, en écrivant?: «?Ma vie se termine en impasse.?»
C?est vrai, j?ai beau connaître des succès professionnels, avoir une vie amoureuse?
, il me semble que mon horizon est bouché. Les enfants de mes amis ont fêté leurs 20 ans, ont fait des stages, débuté dans la vie professionnelle. Moi, je suis largué dans tout ça. Dans mon livre, je m?amuse à inventer que Thomas est au Massachusetts Institute of Technology et que Mathieu travaille dans une agence d?architecture en Australie. J?aurais tellement aimé emmener mes garçons au théâtre, au musée, les éveiller au monde artistique. Je regrette qu?ils soient passés à côté de tout ça, mais en même temps ce livre m?a permis pour la première fois d?établir un dialogue avec eux.?»
Propos recueillis par Laurence Merland
Où on va papa ? a été couronné par le prix Femina à l'automne 2008.
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